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Notre interview avec Hystatus : « Jouer aux côtés de telles légendes, c’est un véritable rêve qui se réalise ! »

Notre interview avec Hystatus

Nous avons rencontré Darshan Pham, de son nom de scène Darkan, moitié du duo belgo-britannique Hystatus. Il revient sur sa carrière dans le milieu de la drum & bass belge. De son investissement dans l’essor de la neurofunk il y a plus de 10 ans, jusqu’à partager la scène avec les plus grands artistes du genre.

Interview

Comment te décrirais-tu en tant qu’artiste ? Tes débuts dans la musique ?

De base, je fais du piano. Mon père avait un piano à la maison. J’ai pris des cours, donc j’étais dans la musique assez tôt – vers 6 ou 7 ans. J’ai toujours baigné dans la musique, avec des cours de chant, de piano, de djembé, de rythmique…J’écoutais beaucoup de vieux rock/pop des années 1990-2000, ou du jazz. J’ai ensuite commencé à découvrir la musique électronique via la radio. J’avais un pote qui travaillait sur FL Studio, qui écoutait beaucoup de trance du genre Dash Berlin, Cosmic Gate etc. J’écoutais pas mal de musique électronique, c’était à l’époque où l’EDM était très connue.

Je me suis mis assez vite à produire. J’ai commencé à mixer avec des petites platines Hercules, puis je me suis mis à la production vers 17 ans. Je n’ai jamais suivi de cours, j’ai toujours tout fait tout seul.

Vers 2011, quand j’avais 16 ans, j’ai découvert les soirées drum & bass. Ma première, c’était la Drumderground au Fuse, avec Loadstar et Delta Heavy. Je suis tombé sous le charme, j’ai trouvé ça incroyable. L’année d’après, je suis allé à la Rampage au Trix d’Anvers. Ce n’était pas de la même grandeur qu’aujourd’hui, même s’ il y avait déjà 5000 personnes à l’époque. Et à partir de ce moment-là, c’était parti : je me suis mis à écouter des artistes tels que Drumsound & Bassline Smith ou Tantrum Desire.

Quels artistes t’ont fait tomber amoureux de la drum & bass ?

Même si ce n’était pas vraiment de la drum & bass, Koan Sound a été une grande influence. Il y a aussi eu Netsky, surtout avec son premier album (en 2010, nda). Son remix d' »Everyday » de Rusko, c’était une dinguerie. Sub Focus a également marqué mon parcours, avec des morceaux comme « Timewarp » ou « Out of The Blue », qui avait encore cette touche de trance.

Ensuite, j’ai traversé une grosse phase neurofunk, avec Black Sun Empire et le label Eatbrain. J’étais aussi très inspiré par tout ce qui sortait sur UKF, tandis que Luke (Melville, la deuxième moitié d’Hystatus, nda) était plus dans l’univers d’Inspected. Des artistes comme Culprate, Sorrow, Asa, Vorso ou Clockvice font aussi partie de ceux que j’adore.

Avant Hystatus, il y a eu ton projet solo Darkan et ensuite, Kinetik Records. Tu peux nous en dire un peu plus ?

Je suis tombé sur une line-up d’une soirée Kinetik, et c’était complètement fou ! À l’époque, c’était rare de voir une affiche pareille en Belgique. J’ai tout de suite eu envie de rejoindre l’organisation, puis le label. Ils ramenaient des artistes incroyables comme Neonlight, Maztek, Memtrix, Fourward, et bien d’autres.

Kinetik, c’était bien plus qu’un simple label : ils organisaient des soirées, géraient une agence d’artistes, et jouaient un rôle clé dans l’émergence de la scène neurofunk nouvelle génération en Belgique, qui était encore méconnue. La première édition a été un vrai défi. Malgré un line-up incroyable et avant-gardiste, le timing était un peu trop tôt. Mais quelques années plus tard, ces artistes étaient partout !

Ça n’a pas empêché le projet de monter en puissance : Kinetik a collaboré avec Eatbrain, invité des pointures comme Mefjus, Dieselboy, Gancher & Ruin, Phace, Jade, Counterstrike, Mindscape ou A.M.C., et a même eu sa propre scène au Let It Roll.

L’affiche de la Kinetik XL, en 2014
L’affiche de la Kinetik XL, en 2014

Dis nous-en un peu plus sur la formation de Hystatus, les origines du projet ?

Pour répondre à cette question, il faut que je revienne à 2016, quand Luke et moi nous sommes rencontrés. À l’époque, je travaillais comme A&R pour Kinetik, mon rôle étant de développer le label et de collaborer avec des artistes du genre. C’est comme ça que je suis tombé sur Luke, qui produisait de la drum & bass sous le nom de Xenous.

Quelques mois après notre premier contact, il venait à Bruxelles avec sa copine. On a décidé de se rencontrer, et depuis, on ne s’est plus quittés. Ça sonne presque comme une histoire d’amour ! On s’entendait super bien, avec des influences musicales similaires et un solide background musical chacun, même s’ils étaient différents : moi au piano, et Luke qui était bassiste dans un groupe de hard rock/metal.

La formation d’Hystatus est née d’une envie commune d’explorer davantage le halftime, un sous-genre qui commençait à vraiment prendre de l’ampleur à ce moment-là. On trouvait que ça apportait un vent de fraîcheur à la scène. En plus, étant tous les deux fans de Koan Sound, qui s’oriente vers des rythmes plus half-tempo, ça coulait de source.
Un tournant a été notre invitation à l’Inertial, où on a joué avec Posij, Billain, Hybris et Signs. On avait préparé un set un peu plus expérimental, avec une bonne dose de halftime, et le public a adoré. C’était clair qu’on tenait quelque chose, alors on a décidé de pousser dans cette direction.

Justement, comment décrirais-tu l’évolution du sound design/l’identité de Hystatus au fil des années ?

Les gens nous associent souvent au neurofunk parce que nos sets sont très énergiques, mais on a aussi produit pas mal de morceaux en halftime et deep. Côté production, on sait clairement où on veut aller. On se pose beaucoup moins de questions qu’avant, et on avance plus vite dans nos idées. C’est logique, avec l’expérience, ça devient plus instinctif.
Quand tu démarres un projet musical, il ne faut pas t’attendre à savoir tout de suite ce que tu veux faire, à moins d’avoir déjà un certain vécu dans le domaine. L’expérience, ça s’acquiert avec le temps.

Comment cela s’organise, un duo avec un artiste qui habite dans un autre pays que toi ? Au niveau concerts, productions etc…

C’est pas toujours évident de trouver le temps pour la musique, il faut bien le dire. J’ai un travail sur le côté. Luke est par contre musicien de métier et travaille dans les banques de sons. Et quand il en a un peu marre, il me contacte en me disant qu’il veut produire de la drum & bass ! On se voit encore régulièrement, puisqu’il habite à Huddersfield en Angleterre et que le trajet n’est pas très long ni cher. On travaille sur deux plateformes différentes : lui sur Logic, moi sur Fruity Loops. Il m’envoie l’export, et ensuite c’est moi qui dirige.

Quand on se voit, on essaie bien sûr de faire du son ensemble, mais il y a aussi une réalité, c’est que je n’ai plus autant le temps qu’avant. A un moment donné, il faut faire des sacrifices. Faire musicien à plein temps dans un style comme la drum & bass, c’est pas possible, malheureusement…Ca reste un rêve d’enfant. Mais justement, je le vois encore comme un plaisir, un vrai kiff ! A chaque date on essaie de faire venir Luke en Belgique, mais ce n’est pas toujours possible. On mixe plus souvent en Belgique qu’en Angleterre, même si on a déjà eu quelques dates. Il ne faut pas oublier qu’Hystatus, c’est juste deux potes qui s’amusent derrière les platines.

Après des sorties sur des labels reconnus tels que Delta9, Skankandbass, Axon – le label de NickBee – ou encore Overview, il y a également eu une sortie sur Abyssal, un label belge. Un mot sur la drum & bass belge “nouvelle génération” ?

C’est très bien ce qu’il se passe en Belgique à ce niveau-là. Après, je trouve ça dommage que des Netsky ou Alix Perez ne mettent pas en avant le fait qu’ils soient belges. C’est bien que des artistes comme Atmos ou Blanko montent pas mal en ce moment. Mais à part ça, à part des labels/orga comme Abyssal, Constrict, Inertial ou Polychrome, je n’en vois pas des masses… Et en Flandre, il y a beaucoup de jump up, mais au niveau deep ou neurofunk, ça s’est un peu écrasé ces dernières années. Mais je pense que c’est cyclique. L’attention est fort portée sur la techno pour l’instant, mais je pense que ça s’essoufflera à un moment.

Justement, la drum & bass a connu un pic de popularité assez important dernièrement. Pour le bien du genre et de la scène ?

Oui, la drum & bass recommence à être assez connue, mais ce n’est pas pour autant qu’il y a beaucoup d’événements de ce genre en Belgique. Quand tu compares ça avec l’Angleterre ou les Pays-Bas…Il y a aussi des gros évènements qui restent, tels que Skankerz ou Invaderz, mais ça reste fort peu.

Je pense que la drum & bass qui recommence à être populaire (via des artistes comme Hedex, Andromedik, Used, Dimension ou Chase & Status), c’est en effet pour le bien de la scène. Je pense que cela apporte de la visibilité au genre. Si on se borne à garder le style “pour nous”, on n’aura plus jamais de gros évènements qui se développeront à nouveau. A Bruxelles par exemple, le seul événement d’une certaine ampleur, les Bredren Invites, ont disparu. C’est grâce aux gros évènements et aux gros artistes qu’on aura de la popularité. Je suis un peu partisan de la théorie du ruissellement (sic), ça peut aider plus de gens à s’intéresser à ce genre et aider des plus petits artistes à se développer. Il ne faut pas oublier que la musique reste un business, c’est la raison pour laquelle la F*ckin Beat (désormais FCKNYE, nda) a réduit son budget en drum & bass progressivement pour ensuite ne quasiment plus en proposer à l’heure actuelle. Ils avaient senti que cela allait un peu disparaître et que ça n’allait plus rapporter grand-chose, alors que c’est justement ce genre qui a permis leur ascension.

As-tu l’impression que la drum & bass est en train de s’essouffler, musicalement parlant ?

Disons qu’il en faut beaucoup pour que je sois vraiment impressionné par un morceau. En même temps c’est normal, ça fait 15 ans que j’écoute ce style. Mais la drum & bass a ce côté un peu sectaire où tu ne jures que par ça. Alors c’est très bien de tout mettre dans le sound design, mais bon à un moment…Ca me fait penser à des potes à moi qui ne mixent ou ne produisent que de la neurofunk, j’ai l’impression de me voir moi il y a 10 ans. Pour moi, la neurofunk a un peu la même continuité que la jump up. Tu ne fais que tabasser ! Alors oui la sonorité est différente, mais il y a moins de mélodie.

Il y a eu des moments marquants dans la carrière d’Hystatus : le Let It Roll, les soirées Kinetik, mais aussi le Kompass avec Sigma et Andromedik. Qu’est ce que ça fait de jouer à de tels événements, aux côtés d’artistes mondialement reconnus ?

Au début, c’est vraiment intimidant. Tu ressens un peu un syndrôme de l’imposteur. J’étais très fier hein ! Mais quand t’as 16-17 ans et que tu te retrouves en backstage avec des dieux, des artistes que tu considères comme des légendes et que toi tu fais de la musique dans ta cave…Après, ça te donne beaucoup de reconnaissance et de légitimité. C’est une réussite, c’est un véritable rêve de jouer sur des scènes comme ça. Quand ça se réalise, c’est juste génial.

On se rappelle aussi de la Bredren Invites au Fuse, qui s’était déroulée en plein covid…

Ca me fait marrer de me dire que j’avais joué avec un masque et des gants ce jour-là. D’ailleurs, juste avant le covid, j’avais plein de bookings – genre 10-12. C’était la première fois que j’avais autant de dates et là… tout a été annulé. On avait des dates de prévues au Luxembourg, en Allemagne, en Italie. Très honnêtement, le covid a été une période horrible. Même le fait de jouer un son devant les gens : tu le testes, tu le rends vivant. Ça m’a vraiment manqué.

Mais c’est aussi à cette époque-là que je me suis rendu compte que je ne voulais pas dédier entièrement ma vie à la musique. Parce que pour gagner sa vie en faisant de la drum & bass et en vendant tes morceaux, à part si tu t’appelles Mefjus, Camo & Krooked ou Noisia, c’est presque impossible. Tu dépends trop des circonstances, tu dois jouer tout le temps, et il y aussi la question des agences. Ça me fait aussi penser à la fois où j’ai voulu booker Bredren et que l’agence avait bien voulu baisser le cachet, mais pas le prix de la commission…

Parlons du futur : quel serait l’événement ultime où pourrait se produire Hystatus ?

Il y en a plusieurs, bien sûr : les soirées VISION, les Star Warz, et jouer aussi à la fabric à Londres. Il y aussi le Saint-Graal : la Rampage, que ce soit au Sportpaleis ou au festival. J’aimerais bien refaire le Let It Roll aussi, 8 ans plus tard. On y avait joué pour notre première année sous Hystatus, et y retourner serait un peu comme boucler la boucle.

Quels sont les artistes qui t’inspirent actuellement ? En Belgique, et ailleurs ?

J’écoute encore beaucoup de drum & bass, même si beaucoup moins qu’avant. J’aime beaucoup des artistes comme Alix Perez, Visages, Monty ou Technimatic. Je suis aussi méga fan de la new gen, représentée par Buunshin, IMANU ou The Caracal Project.

Une collab dont tu rêves secrètement ?

Koan Sound, sans hésiter ! Ils sont beaucoup trop forts ! Leur dernier album, “Led By Ancient Light”, est absolument incroyable. Musicalement, c’est dingue, magnifique, tellement riche. Je suis tellement fan d’eux que j’étais allé les voir à Bristol pour le live de leur album “Polychrome”.

Il y en a aussi d’autres, parce que musicalement on apprendrait énormément avec eux : Noisia, Mefjus, Camo & Krooked

Il y a-t-il des nouvelles sorties en préparation ?

Oui, on a pas mal de trucs en préparation. On bosse sur des morceaux sur Abyssal, on a un morceau sur Delta 9 avec Marge, qui a collaboré avec Blanko. On a été shortlisté sur Hospital Records, aussi. Plusieurs labels nous ont aussi suivis, tels que Liquicity, via la plateforme LabelRadar.

Dernière question : d’où vient le nom de scène Hystatus ?

On a mis des mois à le trouver ! Luke a sorti “Hystat”, et je pense que Hystatus sonnait mieux. On est allés voir sur internet pour voir si le nom était déjà pris, et on s’est rendus compte que c’était…un énorme scarabée !

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